Berlioz et l'orient


Au XIXème siècle, de nombreux écrivains, peintres, et compositeurs se sont intéressés à l'orient. Berlioz écrit dans ses Mémoires : 

(…) l’orient, avec le calme de ses ardentes solitudes, la majesté de ses ruines immenses, ses souvenirs historiques, ses fables, était le point de l’horizon poétique vers lequel mon imagination aimait le mieux prendre son vol.

Dès la parution des Orientales de Victor Hugo, en 1829, Berlioz, jeune et plein d’enthousiasme envers la littérature, se passionne pour le recueil et plus particulièrement pour ce poème : 

La captive
Si je n'étais captive,
J'aimerais ce pays,
Et cette mer plaintive,
Et ces champs de maïs,
Et ces astres sans nombre,
Si le long du mur sombre
N'étincelait dans l'ombre
Le sabre des spahis.
Je ne suis point tartare
Pour qu'un eunuque noir
M'accorde ma guitare,
Me tienne mon miroir.
Bien loin de ces Sodomes,
Au pays dont nous sommes,
Avec les jeunes hommes
On peut parler le soir.
Pourtant j'aime une rive
Où jamais des hivers
Le souffle froid n'arrive
Par les vitraux ouverts,
L'été, la pluie est chaude,
L'insecte vert qui rôde
Luit, vivante émeraude,
Sous les brins d'herbe verts.
Smyrne est une princesse
Avec son beau chapel ;
L'heureux printemps sans cesse
Répond à son appel,
Et, comme un riant groupe
De fleurs dans une coupe,
Dans ses mers se découpe
Plus d'un frais archipel.
J'aime ces tours vermeilles,
Ces drapeaux triomphants,
Ces maisons d'or, pareilles
A des jouets d'enfants ;
J'aime, pour mes pensées
Plus mollement bercées,
Ces tentes balancées
Au dos des éléphants.
Dans ce palais de fées,
Mon coeur, plein de concerts,
Croit, aux voix étouffées
Qui viennent des déserts,
Entendre les génies
Mêler les harmonies
Des chansons infinies
Qu'ils chantent dans les airs !
J'aime de ces contrées
Les doux parfums brûlants,
Sur les vitres dorées
Les feuillages tremblants,
L'eau que la source épanche
Sous le palmier qui penche,
Et la cigogne blanche
Sur les minarets blancs.
J'aime en un lit de mousses
Dire un air espagnol,
Quand mes compagnes douces,
Du pied rasant le sol,
Légion vagabonde
Où le sourire abonde,
Font tournoyer leur ronde
Sous un rond parasol.
Mais surtout, quand la brise
Me touche en voltigeant,
La nuit j'aime être assise,
Etre assise en songeant,
L'oeil sur la mer profonde,
Tandis que, pâle et blonde,
La lune ouvre dans l'onde
Son éventail d'argent.


En février, Berlioz demande à  son ami Humbert Ferrand s’il a lu les Orientales, et lui dit que ce recueil contient « des milliers de sublimités » :

Avez-vous lu les Orientales de Victor Hugo? Il y a des milliers de sublimités. J'ai fait sa Chanson des pirates avec accompagnement de tempête; si je la mets au net et que j'aie le temps de la recopier, je vous l'enverrai avec Faust. C'est de la musique d'écumeur de mer, de forban, de brigand, de flibustier à voix rauque et sauvage; mais je n'ai pas besoin de vous mettre au fait, vous comprenez la musique poétique aussi bien que moi.

C’est trois ans plus tard, lors d’une de ses excursions à Subiaco en 1832, excursion destinée à remédier à son ennui, qu’il compose une mélodie sur La Captive, dont il rend la création aussi fabuleuse que voulue par le destin… :

Il me souvient, en effet, qu’un jour, en regardant travailler mon ami Lefebvre, l’architecte, dans l’auberge de Subiaco où nous logions, un mouvement de son coude ayant fait tomber un livre placé sur la table où il dessinait, je le relevai ; c’était le volume des Orientales de V. Hugo ; il se trouva ouvert à la page de La Captive. Je lus cette délicieuse poésie, et me retournant vers Lefebvre : « Si j’avais là du papier réglé, lui dis-je, j’écrirais la musique de ce morceau, car je l’entends.
- Qu’à cela ne tienne, je vais vous en donner. » 

Et Lefebvre, prenant une règle et un tireligne, eut bientôt tracé quelques portées, sur lesquelles je jetai le chant et la basse de ce petit air ; puis, je mis le manuscrit dans mon portefeuille et n’y songeai plus.

Commentaires