Le Divan de Goethe


Un « Divan » en littérature est le nom donné à certains recueils de poésies lyriques orientales. En 1814, Goethe découvre le Divan de Hâfez de Chiraz, poète persan du XIVème siècle. Cette découverte est pour lui une révélation. Il est subjugué par la beauté de cette œuvre qui lui semble miraculeuse, et commence dès lors à approfondir ses connaissances sur Hâfez et sur la culture orientale. Goethe écrit alors son propre divan qu’il intitule le « Divan d’Orient et d’Occident » qui sera publié en 1819. Cette œuvre s’apparente à un dialogue entre les propres aspirations de Goethe et celles exprimées dans le Divan de Hâfez réalisant ainsi un pont entre les deux cultures. Il écrit à son éditeur : "Mon intention est de relier avec enjouement l'Occident et l'Orient, le passé et le présent, le persan et l'allemand, de sorte que les mœurs et les tournures d'esprit des deux bords s'entrecroisent."

Goethe s’était senti particulièrement proche de Hâfez de Chiraz qui avait pourtant vécu des siècles avant lui et qui était d’une culture et d’une religion bien différente. Mais il avait sans doute eu l’impression d’appartenir à cette communauté d’hommes sensibles aux plus hautes manifestations de la beauté. Sans doute devait-il croire que cette attitude envers le monde était rare et qu’il ne l’avait pas trouvé dans son époque contemporaine, tant et si bien qu’il eut l’impression que leurs âmes avaient pour ainsi dire une certaine parenté, qu’elles étaient pour reprendre la théorie de Platon des « âmes sœurs » : à l’origine, l’homme formait une boule composée de deux têtes, quatre bras, quatre jambes et après avoir provoqué la colère des dieux, cette boule avait été scindée en deux moitiés, séparant une âme en deux condamnant les hommes et les femmes bien entendu, à rechercher désespérément dans leur vie l’âme sœur manquante. Goethe avait l’impression d’avoir une telle proximité avec Hafez, qu’il voulait croire que leurs âmes étaient semblables, ce qui lui avait rendu la lecture du Divan d’Hafez particulièrement émouvante. Voici quelques extraits du Divan de Goethe :

Infini.

Tu ne saurais finir, et c’est ce qui fait ta grandeur ; tu ne commences jamais, c’est ton sort. Ton chant tourne sur lui-même comme la voûte étoilée ; le commencement et la fin sont toujours même chose, et ce que le milieu amène est manifestement ce qui est encore à la fin et qui était au commencement.
Tu es la vraie source poétique des plaisirs, et flot sur flot émanent de toi sans nombre ; une bouche toujours prête aux baisers, un chant cordial qui coule doucement, un gosier que la soif irrite sans cesse, un bon cœur qui s’épanche.
Je consens que le monde entier s’abîme ! Hafiz, c’est avec toi, avec toi seul, que je veux rivaliser. Que plaisirs et peines nous soient communs, à nous, frères jumeaux ! Aimer et boire comme toi sera mon orgueil, sera ma vie.
Et maintenant, animée de ta propre flamme, résonne ô chanson, car tu es plus ancienne, tu es plus nouvelle !
Imitation.

J’espère de réussir dans ta manière de rimer, le retour des sons doit me plaire aussi. Je trouverai d’abord la pensée, ensuite les expressions ; aucun son ne reviendra deux fois, à moins d’amener un sens particulier, comme tu sais faire, ô poëte, plus favorisé que tous les autres.
En effet, comme une étincelle qui peut embraser la ville impériale, quand les flammes ondoient avec fureur, et, se faisant un courant d’air, s’animent par le vent qu’elles produisent, tandis que l’étincelle, déjà éteinte, a disparu dans l’espace étoile : ainsi la flamme serpente de ton sein avec des ardeurs éternelles, pour animer d’une vie nouvelle un cœur allemand.
Les rhythmes cadencés plaisent sans doute, le talent aime à s’y jouer ; mais qu’ils inspirent bientôt une affreuse répugnance, s’ils n’offrent que des masques vides, sans chair ni pensée ! L’esprit même ne voit rien en lui qui le charme, s’il n’a soin de prendre une forme nouvelle et de renoncer à l’ancienne, qui est frappée de mort.

Cette très belle œuvre littéraire a fortement inspiré Abed Azrié qui a composé en 2013 "Hafez et Goethe". En restant très fidèle au projet de Goethe, il met en musique certains poèmes du divan de Goethe en regard avec ceux du divan de Hafez et réalise ainsi une belle fusion entre orient et occident.





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