Dixième Symphonie de Gustav Mahler

Hier soir, l’Orchestre National de Lille a interprété la dixième symphonie de Gustav Mahler (version de Deryck Cooke) au Nouveau Siècle, à Lille. L’œuvre est dirigée par le chef d’orchestre américain Joseph Swensen.
Cette symphonie a été composée lors de l’été 1910, l’un des étés les plus tragiques pour Mahler. C’était apparemment la quatrième fois que l’orchestre jouait l’adagio, et la première fois qu’il jouait la symphonie dans son ensemble. Pendant le deuxième et troisième mouvement, le chef d’orchestre, Joseph Swensen, lançait les départs des cuivres très magistralement, comme on jette un sort. Les différentes parties jouées par les cuivres étaient très impressionnantes, Mahler met beaucoup ces instruments en valeur dans la partition, ce que le concert a bien révélé. Le solo de flûte était vraiment beau. La flûtiste Chrystel Delaval, a été très ovationnée à la fin du concert, cela était plaisant de la voir aussi contente. Dans l'ensemble, longs applaudissements du public.
Avant le concert il y avait une petite présentation de l’œuvre par le directeur artistique de l’onl, Philippe Danel. Cela était très intéressant. Nous avons pu voir les esquisses de Mahler, ainsi que les inscriptions adressées à Alma. On y lit donc en allemand, à la fin de la partition, ce qui signifie « pour toi vivre ! ; pour toi, mourir ! » et sur la dernière portée, « Almschi ! » (le diminutif d’Alma).
Si l'oeuvre est dans son ensemble assez mélancolique et parfois très sombre, le final en revanche, serait plutôt l’expression de retrouvailles heureuses, l’expression de l’amour infini. C’est Alma, qui revient, in extremis, vers le compositeur, ayant la certitude que Mahler « était le centre de [son] existence et continuait de l’être. » Alma écrit :
« Je n’avais jamais imaginé de vivre sans lui, même si le sentiment que ma vie tenait du gaspillage me remplissait souvent de désespoir. Encore moins pouvais-je imaginer vivre avec un autre homme. J’avais souvent songé à partir seule quelque part pour recommencer une vie nouvelle, mais jamais en pensant à quelqu’un d’autre. »
Elle précise alors dans quel état se trouvait le compositeur, quand il s’est rendu compte que peut-être, à force d’indifférence et de manque d’attention, il avait peut-être perdu Alma :
« Lui, de son côté, était profondément bouleversé. C’est à cette époque qu’il écrivit à mon intention ces cris et ces exclamations que l’on trouve dans l’ébauche de la partition de la Dixième Symphonie » (Alma Mahler : Mémoires et correspondances)
Selon Mahler, la musique est perpétuellement en devenir, il lui est inconcevable de reproduire littéralement le même thème dans une nouvelle strophe parce que la loi de base de la musique est l’éternel devenir, le développement perpétuel : « il est impensable que je puisse me répéter (d’une symphonie à l’autre). A l’image de la vie qui ne cesse d’avancer, je dois prendre à chaque fois un nouveau chemin ». (Lettre à Nina Spiegler, 18 août 1900).
Je pense qu’il envisageait le développement de l’œuvre musicale comme la croissance d’un arbre, qui grandirait en puisant ses forces de l’intérieur et non en ajoutant des éléments de l’extérieur. Une symphonie de Mahler est un peu comme une étincelle qui explose et qui devient immense comme l’univers. Henry-Louis de La Grange écrit :
« On ne se rend absolument pas compte de tout ce que contiennent ces pièces, insignifiantes à premières vue… D’après le minuscule point central, on ne peut absolument pas imaginer à quelle distance les rayons vont s’étendre »

Mahler s’est senti très proche de Beethoven quant à sa manière d’exprimer la nature. En tout cas, c’est plein de vie, même si la Sixième s’appelle la "tragique", en fait, il n’y a pas de tragédie, on pourrait même dire qu’une symphonie de Mahler, c’est l’inverse de la tragédie grecque, il n’y a pas de fatum vers lequel l'homme se dirige inexorablement, au contraire, il y a un espoir, une foi qui persiste quand bien même la mort est évoquée, par exemple avec les coups de tambours. Alma expliquait qu’il s’agissait sans aucun doute de l’évocation de la mort que ce soit dans la Dixième, ou dans la Sixième… mais malgré cela il reste l’espoir d’une résurrection, d’un renouveau toujours possible, du moins pour la nature. Alors l’œuvre se transforme en hymne à la nature, en chant du monde.

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