Le dernier mouvement


    Dans cette courte fiction biographique, l'écrivain autrichien Robert Seethaler imagine les souvenirs du compositeur Gustav Mahler après son ultime saison en tant que chef d'orchestre avec l'orchestre philharmonique de New-York, en 1911.




    Le compositeur rentre en Europe et se trouve sur le pont du paquebot l' « Amerika », il se remémore les moments importants de sa vie : ses étés à Toblach, au nord de l'Italie, où la composition musicale se mêle aux chants des oiseaux, la création de son buste par Auguste Rodin (qui ne suscitait guère d’enthousiasme de la part de Mahler !), sa vie de chef d’orchestre à Vienne, et ses relations complexes avec sa femme Alma Schindler. 

Gustav Mahler, Auguste Rodin, 1909

    C'est le beau-père de Alma qui avait eu l'idée de commander une sculpture à Rodin, et cela avait provoqué la colère de Mahler qui n'avait pas eu son mot à dire. La scène relatant la création du buste est très intéressante et montre d'un côté l'impatience et la nervosité de Mahler qui ne supportait pas de rester immobile face au sculpteur, et de l'autre Rodin, rustre et colérique, visiblement furieux d'avoir un modèle si peu docile.

    Le récit alterne entre les souvenirs de Mahler et les moments décrits sur le paquebot, où le compositeur apparaît très affaibli et nostalgique du passé. Ses rêveries sont parfois interrompues par le garçon de cabine qui vient échanger quelques mots avec lui : 

« Monsieur le directeur, dit le garçon. 

– Oui, dit Mahler. Il avait les yeux mi-clos et écoutait le battement des moteurs. 

– C’est quel genre de musique, celle que vous faites ? Vous pourriez m’en parler ? 

– Non, on ne peut pas raconter la musique, il n’y a pas de mots pour ça. Dès qu’on peut décrire la musique, c’est qu’elle est mauvaise. »  



    Grâce à un remarquable travail de recherche et de documentation, Robert Seethaler tente de s'approcher au plus près de la réalité biographique : on y retrouve (dans une sorte de discours indirect libre) des paroles de Gustav Mahler lui-même, rapportées par ses biographes, ou encore des anecdotes aussi présentes dans les Souvenirs de Natalie Bauer- Lechner, ou dans sa correspondance.


Gustav Mahler, à Toblach


Extrait : (au sujet de la Huitième symphonie)


"Gutmann avait lancé le concept de "Symphonie des mille" des mois auparavant, pour stimuler les ventes, frapper l'imagination du public et tout particulièrement celle des salles de rédaction. Mahler trouva la formule inepte. Quand il l'entendit pour la première fois à Toblach, il abattit, de fureur, ses poings sur la table avec une telle violence que la carafe d'eau préférée d'Alma dégringola sur le sol, où elle se brisa avec un bruit sourd. Mahler fixa un moment le désastre scintillant à ses pieds, puis se précipita à la poste de la vallée pour télégraphier à Munich : "Crénom de Dieu, qu'est-ce qui vous a pris de faire un tel cirque ? L'emploi de ce genre de terme est totalement déplacé. Ma musique n'a que faire d'un tapage de bas étage et d'une réclame parfaitement stupide !" 

 

    Ce petit roman m'a fait penser à Ravel de Jean Echenoz. Dans les deux cas, il s'agit de romans biographiques qui mêlent vie réelle et fiction afin de transmettre en fin de compte une image sincère et fidèle des compositeurs. L'auteur (respectant le souhait de Mahler qui estimait que la musique devait se passer des mots) ne cherche pas à décrire la musique du compositeur, mais présente des moments de vie ordinaires où surgit l'extraordinaire travail de composition.  

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