Rencontre avec Tanguy Viel, le 16/02/11
Tanguy Viel entre dans la salle de cours, et s’installe derrière le bureau. Il commence par exprimer son malaise vis-à-vis de la fiction, il ne croit plus au pacte de la fiction ; mais il estime cette période comme étant une crise heureuse. Il se demande si c’est encore ce type de livre qu’il souhaite écrire. Mais il n’éprouve pas de crise avec l’envie d’écrire, ni d’ambition littéraire. Il pense qu’il faut avoir vraiment l’impression que le livre est indispensable, et que vraiment le monde manquerait quelque chose sans lui. Il expose ce qu’il pense du roman, selon un système binaire, car on est tous un peu binaires. Il précise quelques problèmes généraux sur le roman, pourquoi a-t-il choisi le roman. En choisissant le roman, l’écrivain exprimerait un désir d’unité.
L’idée de livre.
Il dit ensuite qu’il y a deux familles d’écrivains. Les deux familles d’écrivains qu’il définit ont ce désir. Il éprouve un besoin d’agencer plus encore que les poètes. La première de ces deux grandes familles peut être appelée les « écrivains de la force tranquille ». Il parle du discours de Stockholm de Claude Simon et de son terrible constat, j’ai 72 ans et toujours rien compris au monde, mon œuvre est compliquée parce que le monde est compliqué. Claude Simon à ce moment cite Shakespeare et Barthes, que si le monde sait quelque chose sur le sens du monde, c’est qu’il n’en a pas. Image du livre comme un fleuve comme Proust ; ou Faulkner. Il a l’impression qu’en quelque sorte Montaigne fait aussi partie de cette première famille d’écrivains. Une écriture des impressions, des sensations, tout cela pour se rapprocher du Journal en quelque sorte. Il parle de la porosité entre la littérature et la vie. Il retrouve cela un peu chez Bolaño. Ce sont des écrivains de la matière. Le livre musical de Joyce. Forme la plus molle, la moins composée. Dans l’autre famille, ce sont les coupables, les névrosés. Ils sont coupables de quelque chose, on ne sait pas quoi, mais il y a un problème avec leur présence au monde. Ecrivains dont la névrose est historiquement datable, peut-être Saint-Augustin, mais surtout le XIXème siècle. Flaubert sans doute serait de ce côté-là, mais c’est surtout Dostoïevski ; ce qui est en jeu est la rédemption par la littérature. Parmi eux, il y a ceux qui composent, les héritiers, comme Kafka, dans le fragment. Va jusque Beckett. Après L’Innommable, il n’y a plus rien à dire. Beckett lui a échoué. C’est marrant que Beckett et Claude Simon soient contemporains. Beckett lui-même disait qu’il était dans l’incapacité physique de lire Claude Simon.
Est-ce la distinction entre épopée et tragédie ? Cela fonctionne aussi avec le cinéma, entre documentaire et fiction, entre enregistrement et réalisation ; Fellini et Hitchcock. Pas d’hyper fable au XXème siècle. « Perec peut-être ? » lui demande-t-on. Ah oui, répond Tanguy Viel, mais est-il dans cette famille là ? Il essaie d’accueillir le monde, mais besoin de structure. Faut-il fabriquer une maison-langue ? Dans les romans, il faut toujours une maison. Il a besoin de construire des maisons. Il rapproche le jeu et l’œuvre d’art. Il aimerait bien faire la synthèse des deux. Il se pose le problème de la forme, et se trouve à la fois dans le contemplatif. On ne sait pas ce qui est retenu quand quelqu’un écrit. Il parle du livre Beckett l’abstracteur. Soit la langue doit être très nerveuse, soit par une obsession du pitch, est-ce que je tiens mon lecteur, enjeux du scénario. Il pense, rapidement, que Proust n’essaie pas de séduire son lecteur.
2ème partie :

Cinéma est une blague, mais ce n’est pas forcément péjoratif de dire ça, c’est aussi, dit Dominique Viart, un coup de force. Rêve d’un livre absolu, pense à l’abécédaire, taxinomie, encyclopédie. Il cherche une formule alchimique. Il faudra bien trouver la fable du savoir. Volonté d’une mise en fiction du savoir. Problème de profondeur de champ que le cinéma permet et pas la littérature. Il dit ensuite qu’il a lu beaucoup ces derniers temps sur l’art de la mémoire dans l’Antiquité. Image des trois dimensions de l’âme qui s’accorde avec le cosmos. Son maître à penser jusqu’alors était Balzac. Il dit ensuite qu’il est très réfractaire envers Céline. Beaucoup de choses dans l’écriture viennent de l’écoute, pas d’un travail. Il parle des commentateurs qui ont estimé qu’il avait un phrasé proche du jazz, mais facilité selon lui, ça le fait rire. Il est très convaincu par l’idée de la littérature spectrale, aime bien, mais c’est presque affectif, il aime bien les fantômes, les revenants. Peut-être plus encore la génération qui précède.

Commentaires